Une histoire d’amitié et de connivence Brassens, Mac Orlan et Chabrol
La rencontre de Brassens, de Pierre Mac Orlan et de Chabrol, a été favorisée par Brassens lui-même qui est à l’origine de l'implantation de Jean-Pierre Chabrol à la campagne. Jean-Pierre Chabrol et sa femme sont des gens militants, engagés politiquement : lui résistant, elle déportée. Jean-Pierre quitte le journal « l’Humanité » où il travaille comme journaliste dessinateur suite à son désaccord à propos de l’invasion de la Hongrie en 1956 par les troupes soviétiques. Il n’est plus journaliste, donc perd son moyen de subsistance.
Jean-Pierre Chabrol rencontre Brassens qui encourage son ami cévenol à vivre de sa plume et à devenir écrivain. C’est le premier succès : «Un homme de trop ». Chabrol se laisse convaincre mais souhaite un environnement paisible, stimulant et rural. Avec l'aide de son ami Brassens il trouve une maison à Courcelles-la-Roue. L’intérêt est de concilier tranquillité et proximité de Paris, souhaitables pour les contacts quand on a une activité artistique. Peu de temps après son installation, il apprendra qu'un certain Pierre Dumarchey, alias Pierre Mac Orlan, réside non loin. Evidemment, il prend contact avec lui.
Revenons à nos deux premiers invétérés fumeurs de pipe. Mac Orlan et Brassens ont dû parler chansons. Le premier en a écrit une soixantaine et le second, son benjamin de quarante ans, près de cent cinquante.
Leurs oeuvres respectives présentent un certain nombre de points communs mais aussi de différences. Mac Orlan est parolier et confie la mise en musiques a des orfèvres en la matière : Georges Van Parys, Philippe Gérard, Marceau ou Leonardini. L’interprétation est essentiellement assurée par des femmes : Germaine Montero, Monique Morelli, Juliette Gréco, Francesca Solleville, Catherine Sauvage, Mistigri et d'autres moins connues. « La chanson perdue » fait exception, c’est un homme qui l’interprète : Yves Montand.
Le second, le Sétois, est "auteur compositeur interprète". Toutefois, on ne peut oublier qu'il a écrit, lui aussi, une dizaine de chansons pour d'autres chanteurs, parmi lesquelles «Le chapeau de Mireille» pour Marcel Amont, «Le bricoleur» pour Patacbou, «Le Myosotis» chanté par Sacha Distel ou qu’il a donné des musiques à son ami Pierre Louki (« Le cœur à l’automne » et « Charlotte ou Sarah »)
Parmi les innombrables chansons de Brassens et, à l’occasion des déferlantes Brassensmania anniversaires des automnes 2001 et 2006, l'incontournable Johnny ira rocker sur l'air de « Un petit coin de paradis » et « Corne d'Auroch ».
Brassens, compositeur, a déposé ses notes sur quelques poèmes de ses auteurs préférés de François Villon à Hégésippe Moreau (méconnu de la plupart d’entre nous, en tout cas de l’auteur de ces lignes), en passant par Corneille, Lamartine, Musset, Hugo, sans oublier Aragon et Francis Jammes, le chansonnier Gustave Nadaud, Jean Richepin, Théodore de Banville, Verlaine, son ami Paul Fort etc.
Georges et Pierre ont en commun des tracés de vie assez similaires : ils sont issus de familles insérées tant socialement que professionnellement. Le père de Brassens est maçon. Il reste uni toute sa vie avec sa femme, comme le père de Mac Orlan, officier de marine. Pierre Mac Orlan perd sa mère très jeune puis son père. Il est élevé par son oncle à Orléans qui devient son tuteur légal. Georges Brassens et Mac Orlan font toutefois, volontairement, une rupture pas trop brutale avec leur milieu d'origine, tous deux pour monter à Paris. Si Pierre Mac Orlan a une vie de couple classique, sinon monogamique, en tout cas moins tumultueuse que celle qu'il prête à ses personnages, Brassens, lui, choisira de vivre seul, tout en réservant à Puppchen, son « éternelle fiancée » et la dédicataire de « La non-demande en mariage », des moments d’intimité pendant leurs séjours communs à Crespières ou à Lézardrieux.
Mac Orlan, après quelques errances et emplois dans les ports, s'adonne au dessin et rencontre au Bateau Lavoir à Montmartre un certain Picasso. Brassens «s'installe» dans le 14e arrondissement et commence un peu plus tard sa carrière à Montmartre où Patachou le découvre et Jacques Canetti l'impose au public.
La première période de leurs deux vies, bien qu'elles ne se situent pas à la même époque, est marquée par la guerre et une existence de bohème librement choisie qui nourrira leur œuvre respective. Chacun est casanier. Ce n'est pas par hasard que l'on appelle Mac Orlan «L'Ermite de Saint Cyr».
Brassens attend 1966 pour accepter –difficilement- d'émigrer de l'impasse Florimont où il a séjourné plus de vingt ans au ... 15e arrondissement ! Pour déménager, il lui suffit de prendre la rue d'Alésia.
Les deux auteurs soignent de manière littéraire les textes de leurs chansons qui sont «travaillés» avec une écriture élaborée. Les emprunts argotiques sont, il est vrai, un peu plus fréquents chez Pierre que chez Georges. Tous deux aiment les gens humbles, les marginaux qui constituent les premiers et seconds rôles de bon nombre de leurs chansons pour lesquelles, d'une manière délibérée, il choisissent des mélodies inspirées de rythmes populaires : valse, java etc. Tous deux, par exemple, auront pour référence Villon et son casting « d'escholiers », d'aventuriers, de brigands, de voleurs, marauds et autres filles dites pub1iques.
Ont-ils apprécié un poète, chanteur et chansonnier aujourd’hui trop oublié, Gaston Couté ? Il est vrai que Mac Orlan l'avait côtoyé dans ses années de jeunesse sur la Butte où trône le Sacré-Cœur.
Pour résumer, on peut affirmer que nos deux faiseurs de chansons ont des textes écrits dans une langue riche et précise, sur des mélodies également très simples… en apparence, qui se retiennent facilement. Mais, somme toute, bien plus complexes qu'il n’y paraît pour quiconque s'aventure à chanter ces chansonnettes (place des mots par rapport à la mélodie). En cela, «La Fille de Londres» et «La Chanson pour Margaret» de Mac Orlan n’ont d'égale difficulté à être interprétées que «Mourir pour des idées» ou «La Fessée», comme d'ailleurs la plupart des chansons de Brassens.
Leurs thèmes sont populaires, sensibles et traités d'une manière anticonformiste quant aux valeurs de la société environnante. Toutefois, ils diffèrent dans la déclinaison qu'ils en font dans un imaginaire réciproque et fécond.
Mac Orlan a des personnages incarnés qui collent à la réalité. Ce n'est pas par hasard si son style a été qualifié de « Fantastique Social». C'est le portrait du légionnaire de «La Bandera» ou celui de la fille à matelots qui va de bar en bar, de port en port, en passant par les bordels d'Amérique du Sud. Il y a aussi du désespoir dans ses personnages. Quiconque a vu ou lu «Quai des brumes» comprendra. C'est un homme du Nord, il est dans la nostalgie ; dans ses chansons, il a souvent recours à l'accordéon comme accompagnement.
Georges, notre trublion de la chanson, «le pornographe du phonographe», est un amoureux du verbe comme bon nombre de ses copains du Languedoc d'où il est originaire. C'est un méditerranéen. Ce sont la guitare et la basse qui sont ses instruments privilégiés. Pour décrire ses personnages, il fantasme sur leurs conditions sociales en ayant recours fréquemment à la mythologie : Cupidon, Venus, Adonis, Pénélope sont toujours présents, à l'embarquement pour Cythère.
L'oeuvre de Brassens est sans cesse revisitée. En témoignent les spectacles divers (représentations théâtrales, festivals, soirées hommages à Brassens), les nombreuses reprises de ses chansons, tant en France qu’un peu partout sur la planète par plus de huit cents interprètes dans une quarantaine de langues ou de dialectes. Le travail de Mac Orlan ne bénéficie pas d'une pareille attention, alors qu'elle serait pleinement justifiée.
L’influence de Brassens sur les compositeurs interprètes est directe, tous reconnaissent leur dette envers le moustachu, de Georges Moustaki à Renaud, en passant par Pierre Perret et Maxime Le Forestier. Celle de Pierre Mac Orlan est beaucoup plus confidentielle et peu reprise.
Ce sont tous deux des moralistes, mais pas la morale dominante, non ! celle qui a cours ou est en (bonne) cour. On peut dire que Georges Brassens et Pierre Mac Orlan sont deux individualistes, solitaires mais aussi solidaires, anarchistes chacun à leur manière. Comme beaucoup de créateurs, ils ont plus voyagé dans leur tête et dans leurs œuvres que dans la réalité dont, toutefois, ils se sont inspirés en puisant dans le vécu de la première partie de leur vie.
Ils ont, par leurs propos, apporté une bouffée d’oxygène à quiconque s'asphyxiait dans une société faite de codes moraux qui niaient ou rejetaient toute expression et toute reconnaissance de l'être original dont chacun est fait.
Il est raisonnable de penser que leur estime fut réciproque.
Georges Brassens ne disait-il pas de Pierre Mac Orlan : «Il donne des souvenirs à ceux qui n'en ont pas». Ce à quoi ce dernier affirmait : «Il me paraît difficile de décrire en deux lignes l'art de Brassens. L'homme et le poète ne font qu'un. Il en est de même pour l'honnêteté et la bonté qui deviennent les éléments essentiels d'une pensée profondément humaine »
Tous deux meurent sans enfant et lèguent leurs biens - à la famille et aux copains pour Georges. Il l'avait déjà fait de son vivant, - à un groupe d'amis pour Pierre, sa maison à la commune de St Cyr. À charge pour elle de veiller à la survie de son oeuvre.
Avec le témoignage de la famille Guibert de Saint-Cyr, l'apport d’Évelyne Baron du Musée des Pays de Seine-et-Marne, la participation de Bernard Ascal (auteur-compositeur-interprète), Jean-Pierre Guinard de Radio Canut à Lyon.
Pour les associations Terroirs et La Chanterelle, Pierre POMA
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